Une mobilisation qui ne prend pas en Russie ? On a vérifié les images qui circulent | TF1 INFO

2022-09-30 19:47:48 By : Ms. Vivi Gu

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L’annonce de la mobilisation partielle par Vladimir Poutine marque un tournant dans la guerre en Ukraine et crée une onde de choc parmi une frange de la population. Si des centaines de milliers de Russes sont parvenus à fuir et rejoindre des pays voisins comme la Géorgie ou la Finlande, d’autres ont reçu leur convocation et déjà gagné les centres de recrutement. Pour rappel, 300.000 réservistes doivent être mobilisés. Sur les réseaux sociaux, de nombreuses vidéos montrent des scènes de contestation en Russie. La plupart d'entre elles ne sont pas localisées précisément mais beaucoup seraient situées dans des régions peuplées de minorités ethniques, comme la Sibérie. Nous les avons vérifiées.

Une séquence, partagée sur Twitter par des comptes francophones et anglophones, montre une foule composée de "femmes russes manifestant contre la mobilisation de Poutine à Iakoutsk, en Sibérie" et "encerclant des recruteurs", ces derniers étant chargés de s’assurer du bon déroulement de la mobilisation. Après des recherches, la scène se déroule bien à Yakoutsk, cette ville de la République de Sakha, en Sibérie, et peuplée de 341.000 habitants. En effet, la statue qui domine la place est reconnaissable sur Google Maps.

Les tenues chaudes des femmes sont cohérentes avec la température, qui oscille actuellement autour de 0 degré. Et la danse en ronde pratiquée sur les images serait en fait typique de la région, d’après des internautes qui l’assimilent à une "combinaison folk-chant-danse appelée Olonkho". Le 26 septembre, un média local de Yakoutsk fait état de cette manifestation, qui a donné lieu à 24 arrestations. Dans un autre article, on apprend que le rassemblement, considéré comme illégal par les autorités, s’est organisé en amont sur les réseaux sociaux.

Ces éléments suggèrent que ces femmes n’entouraient donc pas des recruteurs, mais plutôt des policiers au cours d’une manifestation plus classique. Aussi, les autorités locales ont tenté de faire tourner le rassemblement en leur faveur en le faisant passer pour un "rituel dans lequel les femmes souhaitaient la santé à ceux qui étaient mobilisés", rapporte une chaine Telegram. Un média prorusse revient également sur ces manifestations, "organisées en soutien au peuple iakoute mobilisé" dans lesquelles ont eu lieu des "rituels d'algys et d'osuokhai".

Une autre scène se déroule cette fois dans une salle, présentée comme un centre de recrutement d’où partiront les réservistes tout juste mobilisés. Assis en rang, des hommes laissent éclater leur colère et se font vite réprimander par un soldat, qui semble gérer les troupes. Au premier plan, un homme se passe la main sur le visage, l’air épuisé. Les échanges sont vifs et se déroulent bien en russe, comme l’atteste notre traductrice. 

Face au brouhaha régnant dans la salle, le soldat leur intime alors : "Qu’est-ce que vous avez à geindre comme des gonzesses ? (…) Vous êtes tous des militaires les gars. Voilà, c’est tout ! La récréation est terminée ! Vous êtes tous des militaires". Il leur explique ensuite le programme qui les attend : "Trois jours ici, le vol, deux semaines d’entraînement jusqu’à ce que le régiment soit au complet et vous toucherez le même salaire qu’un militaire professionnel : officiers, sous-officiers… Les primes de guerre, le statut d’ancien combattant, jusqu’à la fin de l’opération spéciale et puis, le retour à la maison."

Aucune information n’est donnée sur le lieu où ces hommes se trouvent. C'est le site WarTranslated, qui se présente comme "un projet indépendant qui vise à traduire en anglais divers documents sur la guerre en Ukraine", qui a publié la vidéo le 23 septembre. Lui non plus ne fournit aucun élément aidant à localiser l’extrait. 

Tout laisse à penser qu’elle est récente -les termes d’"opération spéciale" sont employés par le militaire russe- et qu’elle se déroule bien en Russie, dans une salle transformée en centre de recrutement (une pratique habituelle dans le pays). Un élément permet de corroborer cela : la présence à l'image d’une insigne jaune et rouge, ressemblant à un écusson de l’armée soviétique. On y devine en effet l’inscription de la faucille et du marteau, ces symboles connus du pouvoir soviétique et présents sur le blason de l’ex-URSS. 

Dans les scènes fortes qui ont beaucoup été vues et commentées, il y a celle d’un mouvement de résistance de civils, face à une femme présentée comme une recruteuse russe. Parmi les hommes qui lui font face, certains ne tiennent plus et l’invectivent. L’échange qui suit alors est particulièrement tendu. La vidéo a d’abord été mise en ligne sur Telegram, par un site d’information ukrainien, Obozrevatel. Elle y est décrite comme "une employée de l'intendance militaire (qui) tente de convaincre les hommes de partir en guerre contre l'Ukraine", sans préciser la localisation.

Mais les différents comptes ayant relayé la séquence la situent dans la République du Daghestan, cette province russe qui borde la Géorgie et la mer Caspienne. Or, ces habitants de l'une des régions les plus isolées de Russie, à majorité musulmane, sont en première ligne de la mobilisation partielle, comme nous vous l’expliquions ici. De même que la Sibérie, où se sont déroulées les manifestations des habitantes, citées plus haut. Les habitants du Daghestan, eux, refuseraient désormais de se sacrifier au nom de la Russie. C'est ce qu'il en ressort des manifestations qui ont éclaté, donnant lieu à une centaine d’arrestations le 26 septembre, dans la région.

D’après le dialogue, qui nous a été traduit, la femme intime donc à ces hommes en russe de partir au front, son fils ayant lui-même été envoyé "là-bas depuis février". "Mon grand-père a combattu. Et pourquoi mes enfants devraient aussi se battre aujourd’hui ?", demande alors un homme. "Pour l’avenir !", martèle-t-elle. 

S’ensuit un échange où la femme demande à des hommes combien d’argent ils reçoivent de l'administration pour s'occuper de leurs enfants. Plusieurs affirment alors bénéficier de beaucoup moins de soutien que les régions de Russie centrale, d’après cet internaute ayant aussi traduit les discussions. Situer la scène au Daghestan parait donc crédible. De plus, les vêtements légers des protagonistes correspondent à la météo, encore clémente dans la région. Elle est également partagée par une chaine Youtube russe, en étant présentée là aussi comme des "protestations au Daghestan".

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