«L’Expédition», le vent du large l’emporte – Libération

2022-10-14 20:52:24 By : Mr. paul wang

L'expédition de Stéphane Servant et Audrey Spiry (Editions Thierry Magnier)

Le dessin frappe dès la couverture de l’album : une densité des couleurs et un contraste fort, poussé. Il représente un bateau en forme de coquille de noix en pleine mer sur lequel une jeune pirate, main en visière, pipe au bec, scrute l’horizon, déterminée. Les pages qui suivent, dans lesquelles cette femme raconte sa vie sont de cette même veine, dans cette expressivité picturale saisissante, avec certaines illustrations qui paraissent de vraies toiles peintes à la gouache. De plus, l’univers décrit s’y prête, c’est d’abord celui d’une île lointaine et luxuriante, où naît l’héroïne, puis de la mer déchaînée et pleine de remous.

Audrey Spiry s’est fait remarquer dès son premier livre, la bande dessinée En silence (Casterman, 2012), qui racontait une journée de canyoning et qui avait déjà une puissante présence aquatique. Ont suivi côté littérature jeunesse, Lotte, fille pirate (Sarbacane) avec Sandrine Bonini, puis Tempête (Sarbacane, 2015) avec un déchaînement d’éléments et de couleurs, de même dans En ce temps-là (Thierry Magnier, 2016), conte mythologique dans une forêt profonde. Audrey Spiry continue ici à déployer cette virtuosité au service d’une histoire d’apprentissage, de la naissance au crépuscule, imaginée par Stéphane Servant, auteur jeunesse chevronné, en particulier du roman Sirius (Rouergue, 2017).

La pirate en mer. (Editions Thierry Magnier)

Que raconte l’Expédition ? Pas exactement un voyage court dans le temps, puisqu’il s’agit de l’odyssée d’une vie entière. Une vocation née très tôt : «Même si je savais à peine marcher, je voulais déjà naviguer.» L’attrait de l’inconnu et de l’aventure, une motivation de pirate : «Toute petite, je regardais la ligne droite de l’horizon. Je rêvais d’îles secrètes, de trésors cachés.» La narratrice, née sur une île des Tropiques vraisemblablement, de parents aimants qui l’aident même à construire son embarcation et sont donc prêts à laisser partir leur enfant sans rechigner, prend effectivement le large. L’Expédition raconte ce goût infini de la liberté de cette apprentie pirate, soutenu par le souvenir de l’amour de ses parents «qui m’ont donné le courage, la force et le sourire, la meilleure des armes, la plus brillante des épées».

Après des années de navigation, de mers de toutes les couleurs, de toutes les humeurs, de rencontres et d’amours, elle recueille un petit garçon. «Et dans ses yeux, il y avait déjà tout l’or de l’horizon. Plus loin ! Plus loin ! Comme moi, il rêvait déjà. D’îles secrètes, de trésors cachés. De savoir ce qui se trouvait là-bas, d’l’autre côté.» Voici venu le temps de la transmission. L’Expédition raconte comment l’amour et la joie de ses parents donnent de la force qui dure dans la vie, comment le désir d’accomplir ses rêves permet de les réaliser et de se réaliser. Histoire aventurière et philosophique sans un nuage qui vienne assombrir le récit ni le dessin d’Audrey Spiry, si ce n’est quand la houle sévit.