De footballeur à officier nazi: l'incroyable histoire d'un ancien capitaine des Bleus passé par Nice et Antibes - Nice-Matin

2022-10-14 20:45:05 By : Ms. Tele Mall

Contre son camp. Alexandre Villaplane aurait pu être un Mirabeau: le premier à entrer au Panthéon du ballon rond. Sauf que le natif d’Alger a préféré le déclin au destin.

Né en 1904, il sera fusillé à l’âge de 40 ans à la Libération. Le sombre parcours de celui qui a troqué son maillot pour un uniforme SS est retracé dans l’ouvrage Le Brassard (éditions Plein jour). Résultat de quatre ans de recherche et d’écriture de Luc Briand, président de chambre à la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Sélectionné pour le prix Jules Rimet, le livre conte les années azuréennes du capitaine de l’équipe de France pour la première Coupe du monde de l’histoire.

Quelle est la genèse de cet ouvrage?

En lisant des livres sur la collaboration, j’ai trouvé le nom d’Alexandre Villaplane. Il avait un profil particulier: au milieu des collabos, des hauts fonctionnaires classiques, on trouve… le capitaine de l’équipe de France de football. Je n’étais pas du tout certain de trouver assez d’informations. J’ai eu longtemps des doutes. Mais en ramenant les fragments de documents, d’articles de presse, j’ai pu tirer le fil.

Quel genre d’homme était-il dans le monde du sport?

Le footballeur qu’il était avait comme réputation d’être un bon camarade, un grand joueur charismatique, il avait un esprit d’entraînement.

Son histoire est marquée par la professionnalisation du foot...

Ce sont les clubs qui l’ont demandée et obtenue en 1932. Parce qu’avant, ils n’avaient aucune prise sur les joueurs! À cette période, le joueur venait ou pas l’entraînement, pouvait changer de club comme il voulait…

Et même être engagé dans un casino alors qu’il était déjà connu défavorablement pour ses entourloupes de jeux!

Effectivement! Cela fait partie des choses qui ont pu le décider à venir à Antibes. Le président d’Antibes Olympique étant aussi le directeur du casino de Juan-les-Pins, il lui a assuré un job de croupier. Le soleil également l’a sûrement décidé à s’y installer. Tout comme son ami Louis Cazal qui était déjà au club.

À partir de là, il développe un lien avec la Côte d’Azur...

C’est là qu’il a vécu sa première saison professionnelle. Il a joué à Antibes et à Nice. Il y a aussi rencontré Julia Becker qui vivait à Juan-les-Pins, ils ont eu un fils ensemble né à La Trinité. Il les quitte avant la guerre pour aller à Paris, miser sur des courses hippiques, passer ses nuits à Pigalle…

Cela aurait changé la donne s’il n’était pas parti?

Il aurait dû rester dans le Sud. Il a dégringolé. Au départ, il n’était que dans des petites combines pas très méchantes. Ensuite, il s’est retrouvé pris dans quelque chose d’un autre niveau…

Que sont devenus Julia Becker et son fils?

Ils sont restés dans les Alpes-Maritimes. Son fils, Alex, est mort brutalement à Antibes le 10 juillet 1978, à 43 ans. Julia Becker, quant à elle, a refait sa vie. Mais elle a continué à vivre à la même adresse, près de la gare de Juan-les-Pins, jusqu’à sa mort en 2001.

Comment se fait-il que Villaplane bascule?

C’est l’histoire du petit voyou qui devient grand assassin. Il a toujours été attiré par l’argent. Il a grandi parmi les plus pauvres des plus pauvres. Je crois que quand il arrive à Sète, pour sa première affectation dans le foot, ça lui tourne la tête. Il faut dire qu’il a juste 16,17 ans, quand il commence à se rendre compte qu’il peut gagner sa vie. Plus tard, il continue sur cette lancée quand sa carrière s’arrête. À l’époque, il n’y a pas de structure pour aider les sportifs à se reconvertir.

Mais comment on passe des arnaques à la petite semaine à entrer dans la Gestapo française?

Il a été pris dans l’engrenage, il se fait recruter par Henri Lafont qui était un homme vraiment menaçant. Il ne peut pas lui dire non. Et puis… je crois qu’à un moment il boit le calice jusqu’à la lie. Il voit là un moyen de se faire de l’argent, encore. Sauf qu’il va aller plus loin: naturalisé allemand, il devient officier nazi, il va torturer et tuer.

Comment expliquez-vous que Villaplane ne soit pas vraiment connu du grand public?

On n’a pas de document avec sa voix, très peu de vidéos. Et il faut bien dire que ce ne sont pas les représentants du football qui vont le mettre en avant. Il y a aussi le fait qu’en France, contrairement à l’Angleterre, nous n’avons pas de culture littéraire du sport.

Il vous reste des questions en suspens?

Je ne sais pas ce qui est arrivé dans sa vie entre 1935 et 1939: quand il quitte l’OGC Nice, il va travailler à Monaco, son fils naît en 1935. Mais avant l’entrée en guerre, il y a un vide.

Avez-vous été approché pour une adaptation télévisuelle de votre livre?

Le livre est sorti depuis un mois, donc non. Mais effectivement, l’histoire s’y prête…

Pas seulement un arnaqueur. Pas seulement un ex-footballeur. Si Alexandre Villaplane a su briller par ses vingt-cinq titularisations en équipe de France, c’est son engagement dans la Gestapo qui reste dans les mémoires. Recruté au début de la Seconde guerre mondiale après ses séjours à la prison de la Santé pour ses paris hippiques truqués, il prend du poids dans la collaboration. Au sein de la Brigade Nord-Africaine, il traque les hommes, les femmes, les enfants. À Mussidan, il prend en otage onze personnes de dix-sept à vingt-sept ans. Toutes seront exécutées sous ses ordres. Lui-même revendiquera le tir de plusieurs balles. Les témoignages évoquent sa cruauté, ses ignominies. Le voile est levé sur ses agissements à la Libération. Le procureur qualifiera l’ex-joueur de l’OGC Nice comme "un escroc-né". La Cour de Justice de la Seine le condamne à mort le 1er décembre 1944 pour "haute trahison, intelligence avec l’ennemi, meurtres et actes de barbarie".

Vous pouvez le désactiver juste pour ce site parce que la pub permet à la presse de vivre.

Et nous, on s'engage à réduire les formats publicitaires ressentis comme intrusifs.