Catherine Nay : «Je n’épargne personne»

2021-12-27 01:51:56 By : Ms. Yolanda Le

Depuis quarante ans, sa plume aiguisée épingle à fleurets mouchetés les princes qui nous gouvernent.

Honni mois de novembre qui la fait frissonner dans son cachemire noir. Tant d’êtres chers lui ont été enlevés autour de la Toussaint, son père, son frère, puis sa mère adorée, celle qu’elle appelle « ma reine », partie comme une plume, en 2004. Catherine Nay chasse le chagrin dans son appartement parisien tapissé de rideaux soyeux, de tableaux anciens, de masques et statuettes d’Afrique, joyeux bazar fossilisé, chic et sombre. Derrière les fenêtres, le soleil glacé dore les jardins de Matignon. Elle étend ses jambes de déesse dans le canapé léopard, écarte les piles de journaux, un éclair d’angoisse dans la pupille : « J’avais besoin de parler des disparus, mais ai-je bien fait ? N’y a-t-il pas trop de morts dans le livre ? »

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C’est tout elle, cash dans ses ballerines à nœuds taille 40, éternellement pleine de doutes. Le tome II de ses Mémoires, « Tu le sais bien, le temps passe » (Bouquins), exhume un autre monde, sans CNews, sans Tweet, une époque où la droite et la gauche existaient encore, où une candidature à la présidentielle se lançait par fax à l’AFP, où les conférences d’Europe 1 crépitaient au Plaza Athénée… Les 150 000 lecteurs du premier tome seront pourtant ravis de retrouver Catherine Nay là où elle les avait laissés, le 17 mai 1995, jour de l’investiture de Jacques Chirac. Clac, Bernadette se foule la cheville sur le tapis rouge, « le septennat a commencé par un faux pas », s’élance Nay de son inimitable plume, piquante, drôle, primesautière parfois, gorgée de confidences. Et voilà Chirac déjà usé, empêtré entre sa fille, sa femme et ses conquêtes, introuvable le jour du décès de lady Di, recueilli avant tous devant la dépouille de Mitterrand ; Séguin, l’ogre cyclothymique, commandant dix œufs dans son omelette ; Juppé, le raide, confiant que sa mère cinglait au martinet ses mollets d’un « parce que tu es le meilleur ». Puis Jospin, fichtrement dogmatique, Villepin, égrillard et paranoïde ; Sarkozy, fanfaronnant torse nu : « Je suis égoïste, arrogant, prétentieux mais j’aime les gens » ; Hollande, désolant de « normalitude ». Pas de quartier pour la gauche, c’est dans son ADN : la famille était gaulliste, elle se moque d’être considérée comme une journaliste de droite : « Je m’en fiche… mais c’est réducteur, je n’épargne personne. » Une seule question la passionne depuis ses débuts à « L’Express » : comment les hommes jouent et se débattent dans le théâtre du pouvoir ?

Avec elle, la politique est d’abord une affaire intime, ce qui n’exclut pas de solides dégagements sur la réforme des retraites ou les 35 heures – tout un chapitre consacré à cette « comédie » lancée par la droite, imposée au forceps par Jospin contre Aubry, « point de départ de la désindustrialisation de la France ». Défilent ainsi vingt-deux ans d’histoire, 422 pages stoppées net en 2017. « Pourquoi n’avoir rien écrit sur Emmanuel Macron ? » Soupir de diva : « Pas de souvenirs avec lui, rien de ce qu’il dit me touche. Il n’a aucune expérience politique, gouverne seul, avec une armée de néophytes. Il ne m’inspire rien. Sa femme, avec qui j’ai déjeuné deux fois, est très sympathique ; lui, totalement désincarné. »

Son éditeur, Jean-Luc Barré, aurait bien voulu qu’elle en dise plus sur sa vie privée, malgré les apparences pas si sage. La belle Catherine, qui a enflammé les bancs de l’Assemblée quand elle déboulait en cuissardes blanches, n’évoque que son « grand amour », celui à qui elle dédie ses Mémoires, Albin Chalandon. Le baron gaulliste, qui fut banquier, dirigeant d’Elf Aquitaine, ministre de l’Industrie et de la Justice, s’est éteint le 29 juillet 2020, à 100 ans, cet âge qu’elle aimerait qu’on taise pour le garder flamboyant. L’écriture a peiné, il n’était plus là pour rassurer, souffler : « Tu es au sommet de ton art. » Grand vide après une « vie de roses », nonobstant quelques épines ; Albin, ce grand séducteur rencontré en 1967, l’a initiée à tout, formée à l’économie, plongée dans son biotope, entre les politiques et les riches industriels, les Bolloré, les Dassault, Jean-Luc Lagardère, qui fut un protecteur fidèle. Drôle d’existence, à deux la semaine, lui le dimanche chez l’épouse, jusqu’à ce que le veuvage l’autorise, en 2016, à demander sa main. Le mariage eut lieu en petit comité et elle le dorlota davantage encore dans la grande vieillesse, « comme un enfant », tout en ciselant ses chroniques pour Europe 1.

Oui, Sarkozy c’est un peu mon chouchou car je le suis depuis ses débuts

Ce mois de juillet 2020, Catherine Nay avait prévu d’emmener son mari dans la forêt d’Orléans aux commémorations du maquis de Lorris, au sein duquel il combattit à 24 ans sans jamais s’en remettre. Les personnes qu’il avait dû exécuter – un père et son fils miliciens – le hantaient. Il en avait parlé dès leur rencontre, elle avait alors compris son âme tourmentée et suggéré, à l’heure du crépuscule, d’aller saluer les compagnons d’armes. « Albin avait souri », se souvient-elle, périple programmé ce 29 juillet 2020 où le cœur précisément lâcha. Le commandant Chalandon n’eut sans doute pas la force d’affronter les fantômes du passé, au moins les avait-il exhumés sur quelques pages, datées de 1982 et retrouvées dans le fouillis de son bureau. « Outre la tranquillité du sommeil… j’ai perdu celle de ma conscience, a-t-il écrit. Tout ce qu’on m’avait appris être important a cessé de l’être. Après cette table rase n’est resté dans mon esprit que le poids de la mort, de la dignité et du sentiment… » Catherine Nay, bouleversée, a décidé de publier le texte à la fin de son livre.

Les obsèques du résistant furent célébrées dans une église des Yvelines en présence du garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, après un gentil coup de fil des Macron, mais c’est Nicolas Sarkozy qui prit la parole lors de l’hommage national aux Invalides. « Il sait trouver les mots qui restent à jamais dans le cœur », glisse-t-elle, page 382. La journaliste, déjà auteure d’une biographie touffue sur l’ancien président, lui consacre un quart de ses Mémoires. « Oui, c’est un peu mon chouchou, admet-elle, car je le suis depuis ses débuts. » Souvenirs du meeting de 1975 où elle sentit ce « parfum de destin » et la voilà qui conte à nouveau l’ascension, la rupture avec Chirac, la guerre avec Villepin… la bataille élyséenne. « C’est la première fois, se justifie-t-elle, qu’un homme se battait pour garder sa femme et conquérir le pouvoir. » Désolation pour les débuts bling dont elle accable Cécilia, admiration pour Carla. Nay vibre avec son Sarko, elle le trouve « au-dessus du lot », loue son excellence à la barre de l’Europe, regrette ses erreurs liées à « la dichotomie entre son caractère et son intelligence ». Elle souscrit même à la thèse de la machination judiciaire dont il ferait l’objet, à force d’avoir traité les magistrats de « petits pois ». Sérieusement ? A-t-elle enquêté ? Pas vraiment mais elle note que son « grand ami » Jean-Claude Decaux, l’empereur des panneaux publicitaires, disait Sarkozy intègre et affirme qu’il n’existe aucune trace d’un financement libyen lié à la campagne de 2007. Pause, ton tranchant : « De toute façon, Sarkozy est fini, les gens en ont marre et les juges le tuent à petit feu. »

La presse est devenue folle, trop de bashing ou trop de connivence

Ses Mémoires honorent aussi Bernadette Chirac, fréquentée chez le coiffeur, rue de Bourgogne, qu’elle peint en épouse bafouée mais digne, prête à tout – amasser les pièces jaunes ou enfiler des bottes dans la Somme inondée – pour doper la popularité de son mari. Mai 1998, scène géniale en Corrèze, Bernie recevant Hillary Clinton comme une sœur après l’affaire Lewinsky, les toilettes de l’aéroport de Limoges repeintes en urgence, les arbres abattus pour laisser filer les Cadillac. « C’était Hollywood au pays du “Bonheur est dans le pré”. » Mme Chirac lui en a confié des perles : « Tous les matins, Jacques me dit que j’ai une chance formidable de l’avoir épousé… » Ou encore, en observant les ravages du temps sur ses rivales : « Elles sont devenues aussi laides que moi. » Qu’elle était drôle, et fine mouche : « Une stratège », songe Catherine Nay. Et les vraies femmes politiques, les Aubry, Royal, Lagarde, Le Pen, Hidalgo, Schiappa… ? Petite moue, elle cherche : « Dati ferait une bonne maire de Paris. » C’est son amie, la protégée d’Albin, « une araignée noire, mais assez bluffante ». Peu d’enthousiasme pour les autres, entre une telle « pintade », une autre « chiante » ou « déséquilibrée ». Et Pécresse ? « Solide », mais un peu comme Merkel qui, à ses yeux, n’emballerait jamais la France. Alors, point de salut sans homme ? « J’ai bien peur qu’il faille pour incarner le pouvoir quelque chose qu’ont peu de femmes. »

À sa manière, la grande Catherine est pourtant féministe. Ses jeunes consœurs le savent, elle est bienveillante, généreuse, capable d’épauler l’une d’elles, un moment éprise d’un cacique de l’UMP. « Tire-toi, disait-elle, il va te tuer. Et ne montre rien à l’antenne. Allez, régime, coiffeur, sois belle… » Jadis, l’amour filait entre journalistes et politiques : « Normal, comme disait Sagan, on couche dans le milieu que l’on fréquente. » Le mélange des genres n’est plus toléré. Aujourd’hui, il serait plus compliqué d’être la compagne d’un garde des Sceaux sans abandonner le micro, de monter, au retour d’un meeting, dans l’hélicoptère d’Olivier Dassault. Pour elle, l’éthique ne se joue pas là : « La presse est devenue folle, trop de bashing ou trop de connivence. » Si elle avait 20 ans, elle choisirait un autre métier, mais le journalisme a rempli sa vie. Pas d’enfants, « sans regrets », souffle-t-elle, tout en confiant qu’à Noël elle s’est souvent acheté des peluches, entassées là, dans sa bibliothèque. Silence, les lèvres faseyent puis s’illuminent vaillamment. Allez, il faut continuer, descendre chaque matin au kiosque, balayer Twitter, sonder le Tout-Paris d’élégants coups de fil, ne rater aucune émission politique. Les débats des primaires de la droite lui ont semblé « dignes », Michel Barnier bien placé. La bataille pour l’Élysée sera rude. Elle observe Éric Zemmour, « ce dangereux personnage », jamais rencontré ni évoqué dans ses chroniques. Elle le croque avec « ses yeux de lémurien », trouve ça dur, note qu’il a aussi « un joli sourire ». Puis lâche, sans appel : « Pour moi, Zemmour est le fils de Jean-Marie Le Pen. »