BFM TV a-t-elle invité en plateau des Ukrainiennes néonazies mariées à des soldats du régiment Azov? – Libération

2022-09-30 19:47:29 By : Ms. Lucky Chen

Les épouses de soldats ukrainiens, Julia Fedosiuk et Kateryna Prokopenko, manifestent à Rome le 29 avril 2022 pour l'évacuation de leurs maris retranchés dans l'usine Azovstal à Marioupol. (Alessandra Tarantino/AP)

Plusieurs internautes, dont le rappeur Booba, ont accusé la chaîne d’information en continu BFM TV d’avoir donné la parole le 13 mai à deux Ukrainiennes, qui seraient selon eux des militantes néonazies. Invitées sur le plateau de la chaîne, Kateryna Prokopenko et Julia Fedosiuk sont présentées par la chaîne comme étant respectivement les épouses du commandant du régiment Azov Denys Prokopenko et de Arseny Fedosiuk, membre du régiment Azov, qui se trouvent retranchés dans l’usine Azovstal de Marioupol. Fondé par des néonazis en 2014, le régiment Azov a fait l’objet de nombreux articles démontrant ses liens avec l’extrême droite. Les deux femmes ont connu une couverture médiatique importante depuis le début du mois de mai, puisqu’elles ont mené plusieurs actions internationales avec des femmes de soldats du régiment Azov, notamment des conférences de presse ou une rencontre le pape François le 11 mai pour alerter sur la situation de leur époux dans l’usine Azovstal.

Sur les réseaux sociaux, les détracteurs des deux invitées de BFM TV ont partagé des photographies et des montages montrant des femmes blondes ressemblant à Kateryna Prokopenko, posant avec un drapeau ou un débardeur couvert de la croix gammée, ou en train de faire le salut hitlérien avec d’autres femmes. Sur la base de ces tweets accusateurs et sans effectuer de vérification, le site Oh my mag, repris par le portail d’informations de MSN a relayé la polémique et accusé la jeune femme blonde d’être une néonazie.

I am a néo-nazi i am on BFMTV. On est dans un sacré bourbier!!! 🏴‍☠️ pic.twitter.com/rTIlRlw0Jv

En effectuant des recherches d’images inversées, il apparaît qu’aucune de ces images ne montre Kateryna Prokopenko. La jeune femme a également démenti sur Twitter qu’elle était l’une ou l’autre de ces deux femmes, en relayant le travail de vérification effectué par des fact-checkers italiens. Plusieurs vérificateurs français sont arrivés aux mêmes conclusions, que nous partageons également : les deux photos montrant une femme posant avec des croix gammées montrent une Ukrainienne nommée Victoria Zaverukha, dont les liens avec l’idéologie néonazie avaient été révélés en 2014. La photo montrant trois femmes effectuant un salut hitlérien circulait déjà en 2010, quand Kateryna Prokopenko avait 14 ou 15 ans, et semble venir de Pologne, si l’on en croit le drapeau blanc et rouge figurant sur les vêtements d’une de ces femmes et le lien vers un site de rencontre polonais ou apparaît une version en meilleure définition de l’image.

Total fake info 🤡 That’s not me.https://t.co/aDVDER7u8L

Ciblée par cette campagne de désinformation, Kateryna Prokopenko indique à CheckNews que «c’est tellement triste que les gens puissent facilement croire à la propagande et aux fausses informations. Certaines personnes ne peuvent tout simplement pas analyser les traits du visage ou chercher des vérifications». Sur Twitter, elle a envoyé le fact-checking italien à plusieurs de ses détracteurs.

Après inspection des divers comptes publics mais aussi privés qu’elle utilise sur les réseaux sociaux, où elle se présente comme une «patriote, CheckNews n’a pas trouvé d’images ou de textes compromettant pour la jeune femme, ni croix gammée, ni bras tendus suspects. Ses publications tournent majoritairement autour de son travail d’illustratrice, représentant le plus souvent des bouquetins de façon enfantine, ainsi que des photos de ses excursions sportives et de ses voyages à travers l’Europe, ainsi que son goût prononcé pour la musique metal et l’imagerie viking. Interrogée sur son positionnement politique, Kateryna Prokopenko se définit comme soutenant «les idées de protection de l’environnement, de liberté de choix, de liberté d’expression. Je suis également pour une armée moderne et forte (comme Israël), où les femmes peuvent être sur un pied d’égalité avec les hommes, peuvent s’entraîner et être préparées. Et je suis une patriote qui aime son histoire, sa langue, sa culture, mais je respecte les autres cultures et nationalités. Je respecte tous les animaux, c’est pourquoi je ne les mange pas. Je suis pour un pays fort et sain avec une armée forte, une bonne éducation, des services médicaux, un espace sportif et culturel. Je suis totalement contre le totalitarisme (comme la Russie et de la Biélorussie). Je suis totalement contre les nouvelles tendances fascistes comme le ruscisme [fascisme russe ; ndlr]».

Les choses sont un peu différentes concernant Julia Fedosiuk, la femme brune présente à ses côtés sur le plateau de BFM TV. Si elle n’affiche pas de symboles nazis ou célébrant le nazisme sur ses réseaux sociaux publics, où elle est très active, cette jeune femme de 29 ans, diplômée de philosophie, a fait l’objet de plusieurs mentions sur des sites ukrainiens ou dans des textes universitaires, qui permettent de la situer sans conteste à l’extrême droite de l’échiquier politique ukrainien. Elle s’est surtout faite connaître pour ses actions antiféministes, sa défense du port d’arme et son rejet de l’avortement et des droits des personnes LGBT.

En septembre 2017, elle participe à un rassemblement contre la ratification de la convention d’Istanbul, un texte portant sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, au motif que la convention emploie le mot «genre». Lors de cette action, elle est photographiée tenant une pancarte portant l’inscription «Les femmes rêvent d’être dressées». Dans un billet de blog, la militante féministe Anna Gritsenko indique que Julia Fedosiuk apparaît alors aux côtés d’Eduard Yurchenko, un idéologue d’extrême droite qui a œuvré dans différents partis d’extrême droite dont le Parti du corps national, regroupant des vétérans et membre du bataillon Azov, et qui a fondé le mouvement «Ordre», ouvertement homophobe. Dans une interview accordée en mars 2020 au média ukrainien Babel, elle assumait d’avoir voté en 2014 pour Dmytro Yarosh, le candidat du parti d’extrême droite Secteur droit. Croisée en 2019 par le reporter britannique Aris Roussinos, elle se distancie de l’intérêt des suprémacistes blancs américains pour « la guerre raciale » et dit s’inspirer du « mouvement Codreanu » en référence à Corneliu Codreanu, figure nationaliste, antisémite et anticommuniste roumaine de l’entre-deux-guerres.

Le 8 mars 2020, elle réitère une provocation en se rendant à la manifestation pour les droits des femmes, où les membres de son collectif antiféministe «Srіblo Troyandi» («Roses d’argent» en français) arrivent avec un cercueil pour enterrer le féminisme tout de noir vêtues. Elle rejette désormais l’appellation d’antiféministe estimant que son collectif est « une organisation conservatrice de femmes qui offre une alternative aux idées dépassées du nationalisme, qui ne répond en grande partie pas aux défis d’aujourd’hui, et aux formes extrêmes du féminisme de la troisième vague ».

до последнего думала что эти девушки на женском марше феминистки, но потом узнала, шо они наоборот консервативные девчули. думала я так, потому что они довольно красиво выглядели, а где это видано, чтобы консерваторы стильно одевались... вся эта красота... и для кого... pic.twitter.com/RKxOKf48u8

Un article de l’observatoire de l’extrême droite ukrainienne Violence Marker, financé par la fondation de gauche allemande Rosa-Luxemburg, rappelle que le collectif «Srіblo Troyandi» compte parmi ses membres plusieurs icônes féminines de l’extrême droite ukrainienne, dont la plus notable est Olena Semenyaka, que le spécialiste français de l’extrême droite ukrainienne Adrien Nonjon qualifie de «First Lady» du nationalisme ukrainien puisqu’elle est «la figure de proue féminine du mouvement Azov» et «est secrétaire internationale du Corps national depuis 2018 (et dirige de facto depuis la fondation même du parti en 2016) tout en dirigeant la maison d’édition et le club métapolitique Plomin (Flamme)». Julia Fedosiuk connaît très bien Plomin, puisqu’elle en est une des bénévoles. L’attrait d’Olena Semenyaka pour le néonazisme est documenté puisqu’on connaît d’elle une photo où elle effectue un salut hitlérien avec un drapeau orné d’une croix gammée.

I mean who could have known, she super subtle about her ideology https://t.co/VDIoobvyCT pic.twitter.com/E3wgBlO7Fy

Contactée par CheckNews, Julia Fedosiuk n’a pas répondu à notre sollicitation.